« Trente années d’écriture. La vie et l’écriture. L’ailleurs
et l’écriture. Ecrire seulement pour être. Pour s’engager. Vers les autres.
Avec les autres. Ecrire pour dériver de l’homme ancien. Ecrire pour dériver
vers l’homme à naître. Rien d’autre ». C’est ainsi que Jacques Lacarrière
résume ses parcours de vie et de littérature qui constituent,
pour lui, une seule et même voie. Un parcours libertaire — il mit un point
d’honneur à n’appartenir à aucune maison d’édition ni à aucune institution et à
ne vivre que de sa plume — qui le conduisit, tout au long de son existence et
sans qu’il sache en expliquer la raison, à suivre le seul fil conducteur
déroulé par le hasard des voyages, parfois distendu, mais jamais rompu : celui
de la Grèce.
Bien longtemps après son premier voyage, il s’étonne encore
de cette attraction. « Je ne sais finalement
pas au juste pourquoi (…) j’ai voyagé en Grèce depuis vingt ans et encore moins
pourquoi j’écris ce livre si ce n’est pour faire partager ce que j’aime ». Il
faut pour y trouver un sens, suggère-t-il, s’en remettre au fortuit et à
l’accidentel, comme le faisaient les «augures antiques qui liaient le destin
des hommes et des cités dans le vol des oiseaux, ou le bruissement du vent dans
les chênes ».
Avec le temps, les images se mêlent dans la mémoire de
l’écrivain, images « sans cesse surgissantes » et qui sont « autant d’énigmes,
autant de langages secrets jalonnant un chemin» qui aura duré vingt ans, des
premières tournées théâtrales avec la Sorbonne jusqu’à l’automne démocratique
qui verra l’arrivée au pouvoir des Colonels et la fin d’une certaine Grèce,
celle d’avant l’arrivée du tourisme de masse, de la modernisation des
transports et de la pollution des rivages.
Ce que Jacques Lacarrière livre au lecteur,
ce sont les souvenirs encore vibrants d’un pays non encore «apprêté et paré à
l’occidental», un inventaire personnel «de la mémoire, du génie populaire et
de la permanence de l’invention». Les séjours austères dans les monastères du
mont Athos, les frêles caïques luttant contre la mer mauvaise, les airs
lancinants du rebetiko, la vie insulaire à l’harmonie fragile, les amitiés
littéraires, une représentation des Perses à Epidaure : bien plus qu’un simple
récit de voyage, ce livre mêle poésie et pensées vagabondes, culture antique et
connaissance intime du quotidien.